Dans une décision récente, la Cour de cassation (3ᵉ chambre civile, 11 juillet 2024, pourvoi n° 22-24.357) a rappelé les obligations qui incombent au vendeur dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente, notamment en ce qui concerne la délivrance d’un bien conforme aux déclarations faites lors de la vente. Cette affaire concerne un litige autour du raccordement à l’assainissement public d’un immeuble, et met en lumière les obligations précises qui pèsent sur le vendeur, en particulier lorsqu’il s’engage à vendre un bien raccordé à un réseau collectif.

Contexte et rappel des faits sur le bien non conforme

Dans cette affaire, un vendeur s’était engagé à vendre un immeuble via une promesse synallagmatique de vente. Dans ce type de contrat, les deux parties – le vendeur et l’acheteur – s’engagent réciproquement : l’un à vendre le bien et l’autre à l’acheter, sous réserve de la réalisation de certaines conditions. Ici, la promesse de vente indiquait que l’immeuble était raccordé au réseau d’assainissement public. Toutefois, le vendeur avait ajouté une clause précisant qu’il ne garantissait pas la conformité de l’installation.

Par la suite, il est apparu que le bien n’était pas totalement raccordé au réseau public d’assainissement. Certaines canalisations empruntaient des réseaux voisins, ce qui empêchait l’obtention du certificat de conformité nécessaire pour attester du raccordement correct au réseau collectif.

En raison de cette situation, l’acheteur a refusé de réitérer la vente devant notaire et a réclamé au vendeur le paiement de la clause pénale, considérant que celui-ci avait manqué à son obligation de délivrance d’un bien conforme à ce qui avait été promis. Cependant, les juges de première instance ont rejeté cette demande, estimant que le vendeur n’avait pas l’obligation de délivrer un bien dont le raccordement serait conforme aux normes, dès lors qu’il avait expressément exclu toute garantie de conformité dans la promesse de vente.

L’obligation de délivrance : un principe clé du droit des contrats

L’obligation de délivrance est une obligation fondamentale dans le cadre de la vente d’un bien immobilier. Aux termes de l’article 1604 du Code civil, le vendeur est tenu de délivrer à l’acheteur un bien conforme à ce qui a été convenu dans le contrat de vente. Cela signifie que le bien doit correspondre aux spécifications annoncées par le vendeur, et doit être exempt de vices qui compromettraient son utilisation normale.

En matière immobilière, cette obligation de délivrance recouvre notamment la conformité aux caractéristiques physiques et juridiques du bien, y compris son raccordement aux réseaux publics (eau, gaz, électricité, assainissement) lorsqu’il est stipulé. Dans cette affaire, la promesse de vente mentionnait explicitement que l’immeuble était raccordé au réseau d’assainissement public, ce qui impliquait que toutes les canalisations devaient l’être.

Cependant, le vendeur avait tenté de limiter sa responsabilité en stipulant qu’il ne garantissait pas la conformité de l’installation. Cette distinction entre raccordement et conformité a été au cœur du litige. La question posée aux juges était de savoir si l’obligation de délivrance du vendeur pouvait être limitée par cette exclusion de garantie de conformité.

La décision de la Cour de cassation : une réaffirmation des exigences de la promesse de vente

La Cour de cassation a censuré la décision des juges de première instance, en rappelant que la promesse de vente, qui mentionnait un raccordement au réseau d’assainissement public, engageait le vendeur à délivrer un bien dont toutes les canalisations étaient effectivement raccordées à ce réseau. Peu importait que le vendeur ait exclu toute garantie de conformité de l’installation : il avait expressément déclaré que l’immeuble était raccordé, ce qui constituait une obligation de résultat.

L’arrêt de la Cour de cassation est particulièrement instructif sur plusieurs points :

  1. Distinction entre raccordement et conformité : La Cour de cassation rappelle que la mention d’un raccordement au réseau public implique une obligation de délivrance complète, même en l’absence d’une garantie de conformité. Autrement dit, le vendeur ne pouvait pas se contenter de dire que l’immeuble était partiellement raccordé ou raccordé de manière indirecte en passant par des réseaux voisins.
  2. Absence de réserve dans la promesse de vente : La Cour insiste également sur le fait que la promesse de vente ne comportait aucune réserve quant à l’existence d’un raccordement partiel ou indirect. En l’absence d’une telle réserve, l’acheteur pouvait légitimement s’attendre à recevoir un bien raccordé de manière directe au réseau d’assainissement communal.
  3. Conséquences pour l’obligation de délivrance : En déclarant que le bien était raccordé, le vendeur s’était engagé à fournir un bien respectant cette spécification. Dès lors, le manquement à cette obligation pouvait être sanctionné, même si le vendeur avait exclu toute garantie de conformité. La Cour de cassation rappelle ainsi que l’obligation de délivrance prévaut sur les clauses limitatives de responsabilité lorsque celles-ci contredisent les déclarations faites dans le contrat.

La clause pénale : un outil de sanction contractuelle

L’acheteur demandait ici l’application de la clause pénale, prévue dans la promesse synallagmatique de vente. Une clause pénale permet de prévoir, dès la conclusion du contrat, une sanction financière en cas de non-exécution des obligations contractuelles par l’une des parties. Elle vise à dissuader toute inexécution et à indemniser l’autre partie en cas de manquement.

Dans ce cas, l’acheteur estimait que le vendeur avait manqué à son obligation de délivrance, puisque l’immeuble n’était pas intégralement raccordé au réseau public, et réclamait donc l’application de la clause pénale prévue dans la promesse de vente. Les juges de première instance ayant rejeté cette demande, l’acheteur a saisi la Cour de cassation.

La décision de la Cour de cassation, en reconnaissant le manquement du vendeur à son obligation de délivrance, ouvrait la voie à l’application de la clause pénale. Ce mécanisme permet de protéger les intérêts de l’acheteur en sanctionnant financièrement le vendeur pour son inexécution contractuelle.

Les enseignements à tirer pour les vendeurs et les acquéreurs

Cette affaire souligne l’importance pour les vendeurs immobiliers d’être extrêmement vigilants quant aux déclarations qu’ils font dans une promesse de vente. Lorsqu’un vendeur s’engage à ce qu’un bien soit raccordé à un réseau public, il doit s’assurer que ce raccordement est effectivement complet et conforme aux spécifications du contrat, sous peine de voir sa responsabilité engagée pour manquement à l’obligation de délivrance.

Pour les acheteurs, cette décision est une protection supplémentaire. Elle rappelle que le vendeur ne peut se décharger de son obligation de délivrance par une simple clause excluant une garantie de conformité, dès lors que la promesse de vente contient des engagements précis, comme ici le raccordement à l’assainissement public.

Enfin, cette décision illustre l’importance de bien rédiger les contrats de vente immobiliers. Les clauses concernant les réseaux et les équipements doivent être explicites et, en cas de doutes sur la conformité d’un bien, des réserves claires doivent être formulées dans la promesse de vente pour éviter tout contentieux ultérieur.

Un rappel clé sur la conformité des biens immobiliers non conformes et les obligations du vendeur

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 juillet 2024 constitue un rappel essentiel des principes régissant l’obligation de délivrance dans les contrats de vente immobiliers. Le vendeur qui promet un bien raccordé à un réseau public doit respecter cet engagement, indépendamment de toute clause limitative de garantie. Pour les acteurs de la transaction immobilière, la vigilance s’impose tant dans la rédaction des contrats que dans la vérification de la conformité des biens vendus.

Cour de cassation, 3ᵉ chambre civile, 11 juillet 2024, pourvoi n° 22-24.357

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