Le contentieux en matière d’assurance et de location immobilière est souvent marqué par la délicate articulation entre les droits des parties et les recours des assureurs. Un arrêt récent de la Cour de cassation, rendu par la 2ᵉ chambre civile le 15 février 2024 (pourvoi n° 22-17.435), clarifie de manière significative la portée des recours des assureurs en cas de sinistre dans un appartement loué. En l’espèce, un incendie a ravagé un appartement loué, entraînant une indemnisation par l’assureur de l’immeuble au profit du bailleur. L’assureur a ensuite tenté d’exercer un recours contre le locataire, subrogé dans les droits du bailleur. Cependant, la Cour de cassation a censuré cette démarche, estimant que la présomption de responsabilité du locataire ne pouvait pas bénéficier à l’assureur. Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les notions de responsabilité du locataire en cas de sinistre, de subrogation de l’assureur et les limites de cette dernière en matière locative.
Les faits : un incendie dans une location et une indemnisation par l’assureur de l’immeuble
Dans cette affaire, un incendie s’est déclaré dans un appartement loué. Comme le prévoit le contrat d’assurance multirisque souscrit par la copropriété ou le bailleur, l’assureur de l’immeuble a indemnisé le bailleur pour les dommages causés par l’incendie. Jusque-là, cette démarche s’inscrit dans les pratiques courantes en matière d’indemnisation de sinistres immobiliers.
Par la suite, l’assureur a souhaité exercer un recours subrogatoire contre le locataire, qu’il considérait responsable de l’incendie en application de l’article 1733 du Code civil. Cet article pose en effet une présomption de responsabilité à l’encontre du locataire pour tout dommage causé à l’immeuble loué par incendie, sauf s’il prouve que l’incendie est survenu sans sa faute. Selon cette présomption, c’est au locataire de démontrer qu’il n’est pas à l’origine du sinistre ou qu’un tiers est responsable.
Le tribunal de première instance, puis la cour d’appel, avaient donné raison à l’assureur en estimant que, subrogé dans les droits du bailleur après avoir indemnisé celui-ci, il pouvait exercer ce recours contre le locataire. La décision reposait donc sur la reconnaissance d’une continuité des droits entre le bailleur et l’assureur subrogé.
Le principe de subrogation en matière d’assurance
La subrogation est un mécanisme juridique qui permet à un assureur, après avoir indemnisé un assuré, de se substituer à ce dernier pour exercer les droits qu’il détenait contre la personne responsable du dommage. Elle est prévue par l’article L. 121-12 du Code des assurances et constitue un droit fondamental pour les assureurs, leur permettant de récupérer les sommes versées auprès des responsables du sinistre.
Dans le cadre d’un bail, lorsque l’assureur d’un immeuble indemnise un bailleur pour des dommages causés à son bien, il peut être subrogé dans les droits de ce dernier et tenter de se retourner contre la personne à l’origine du dommage. Cependant, la situation se complexifie lorsqu’il s’agit d’un incendie dans un bien loué, en raison de la présomption de responsabilité spécifique qui pèse sur le locataire en vertu de l’article 1733 du Code civil.
La présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie
L’article 1733 du Code civil stipule que le locataire est présumé responsable des incendies qui surviennent dans les lieux qu’il loue, sauf à prouver que l’incendie a été causé sans sa faute ou par une cause étrangère. Cette présomption facilite le recours des bailleurs en cas de sinistre, en inversant la charge de la preuve : c’est au locataire de prouver qu’il n’a pas commis de faute.
Cependant, cette présomption ne s’applique qu’entre le bailleur et son locataire. Autrement dit, elle constitue un avantage pour le bailleur dans le cadre de ses relations contractuelles avec son locataire, mais elle n’a pas vocation à bénéficier à des tiers, comme les assureurs. C’est sur ce point précis que la Cour de cassation est intervenue dans l’arrêt du 15 février 2024.
La décision de la Cour de cassation : la limite de la subrogation en matière locative
Saisie de cette affaire, la Cour de cassation a censuré la décision des juges du fond, rappelant un principe essentiel : la présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie, prévue par l’article 1733 du Code civil, ne joue qu’entre le bailleur et le locataire. En conséquence, l’assureur de l’immeuble, qui n’était pas l’assureur du bailleur, ne pouvait pas s’en prévaloir pour exercer un recours contre le locataire.
La Cour de cassation a ainsi jugé que, bien que l’assureur ait indemnisé le bailleur, il ne pouvait pas bénéficier de la présomption de responsabilité mise en place par l’article 1733. En effet, cette présomption repose sur la relation contractuelle de bail et ne peut être étendue à des tiers, même subrogés dans les droits du bailleur. La subrogation de l’assureur dans les droits du bailleur n’a pas pour effet de lui transférer le bénéfice de cette présomption légale.
Les implications de cet arrêt pour les bailleurs et les locataires
Cet arrêt de la Cour de cassation rappelle la spécificité de la présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie. Celle-ci n’est pas une présomption générale applicable à tout tiers, mais une disposition contractuelle qui ne concerne que les rapports entre le locataire et son bailleur. Cette décision est importante car elle met un frein à l’automaticité des recours subrogatoires des assureurs dans le cadre de sinistres locatifs, en particulier lorsqu’il s’agit d’incendies.
Pour les locataires, cet arrêt est protecteur dans la mesure où il limite les possibilités de recours direct des assureurs de l’immeuble. En cas d’incendie, le locataire n’aura pas à faire face à des demandes de remboursement provenant d’un assureur avec lequel il n’a aucune relation contractuelle directe. Cela renforce l’idée que la présomption de responsabilité n’est pas un fardeau illimité pesant sur le locataire, mais qu’elle doit rester cantonnée aux relations avec le bailleur.
Pour les bailleurs, la décision rappelle l’importance de bien structurer leur couverture d’assurance. En effet, si l’assureur de l’immeuble ne peut pas exercer de recours direct contre le locataire, il revient au bailleur de s’assurer qu’il dispose d’une couverture adéquate pour les sinistres impliquant ses locataires, ou de souscrire à des garanties spécifiques pour protéger son bien.
Les conséquences pour les assureurs : une clarification des limites du recours subrogatoire
Pour les assureurs, cet arrêt souligne la nécessité de bien comprendre les mécanismes de subrogation et leurs limites. La subrogation dans les droits du bailleur n’emporte pas le transfert de toutes les prérogatives du bailleur, notamment lorsqu’il s’agit de présomptions de responsabilité qui ne bénéficient qu’à ce dernier.
Il est donc crucial pour les assureurs d’évaluer précisément leurs droits de recours en fonction de la nature des sinistres et des relations contractuelles sous-jacentes. Cet arrêt pourrait encourager les assureurs à adapter leurs contrats et leurs pratiques pour mieux encadrer les recours en cas de sinistres dans des immeubles loués, afin d’éviter des contentieux similaires à l’avenir.
Conclusion
L’arrêt du 15 février 2024 de la Cour de cassation apporte une clarification essentielle sur les limites du recours subrogatoire des assureurs dans le cadre des sinistres locatifs. En rappelant que la présomption de responsabilité du locataire en cas d’incendie ne peut pas être invoquée par l’assureur de l’immeuble, la Cour protège les locataires contre des recours indus et préserve la spécificité des relations contractuelles de bail. Cette décision renforce la nécessité pour les bailleurs de bien structurer leurs contrats d’assurance et pour les assureurs de préciser les contours de leurs droits de recours.
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